Interview : Maud Amoretti, autrice de bandes dessinées

Maud Amoretti, autrice de BD

J’ai eu le plaisir de rencontrer Maud lorsque j’étais en alternance chez Ankama éditions. J’avais beaucoup aimé le style et la sensibilité de sa Burlesque Girrrl. Je souhaitais vous faire découvrir son parcours, ses albums, son expérience en tant qu’autrice publiée, et ce qu’elle pense du mouvement #payetonauteur et de la reconnaissance des auteurs. Mais surtout, puisque Maud a décidé de quitter le monde de la BD, elle nous livre un témoignage très intéressant qui invite à la réflexion…

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Peux-tu nous parler de ton parcours ?

J’ai commencé par un deug de droit puis je suis allée à Paris à l’ESAG (Académie de Penninghen) pour apprendre l’illustration. La première année a été très enrichissante, j’ai appris la rigueur et le dessin académique, mais les années suivantes étaient focalisées sur le graphisme, la photo, etc. Et mon intérêt s’est amoindri. Je pense que les profs n’étaient pas non plus assez motivés pour donner envie. Ensuite, je suis partie travailler au Japon quelques années, j’y ai travaillé dans la presse féminine et j’y étais aussi interprète. A mon retour, ne trouvant pas de travail, j’ai repris des études en pharmacie tout en travaillant dans une officine à côté. Jusqu’à ce que je commence à publier dans Lanfeust Mag. Merci Christophe Arleston de m’avoir donné mes premières opportunités !

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3 titres pour te découvrir ?

Les Destructeurs : mon livre le plus personnel et de loin mon préféré, Alice au pays des merveilles : j’ai adoré le faire malgré le délai de commande très court (3 mois), je pense qu’il y a de jolies illustrations et Burlesque Girrrl : en le regardant aujourd’hui, je le trouve très bancal niveau dessin mais l’histoire, simple peut être, me plait toujours.

J’ai tendance à ne plus aimer mes livres une fois terminés, seul Les Destructeurs résiste. 😉

Comment définirais-tu ton style en tant qu’autrice ? 

Mon travail tourne autour de la féminité, c’est mon thème principal. Il se décline autour de l’onirisme ou de la musique ou des mythologies. Je pense qu’il y a souvent un fond féministe même si ce n’est pas mon fer de lance. Pour ça, je pense que d’autres en parlent mieux que moi. Je préfère me concentrer sur la femme elle-même, en la rendant déesse je lui rappelle qu’elle est importante.

Je pense que mon travail est sensible. Il exige beaucoup de moi, parfois il provoque un malaise. Je ne travaille pas le sourire aux lèvres.

J’ai besoin d’avoir un personnage féminin central pour pouvoir être intéressée. Ce n’est pas que je n’aime pas les hommes mais je ne sais pas parler d’eux.

Peux-tu nous raconter comment tu as été publiée la première fois ?

J’avais un projet de livre illustré centré sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. A l’époque, je vivais au Japon et c’en était le cadre. Le texte était écrit par un prof de philo et il devait être un peu trop hermétique, mon dessin n’était pas à la hauteur d’une publication mais j’y ai cru. J’ai bataillé deux ans pour le faire tourner. Je n’ai eu que très peu de réponses (négatives, toutes) et certaines sont arrivées 6 ans après. C’était super drôle !

Après j’ai fait une exposition sur Le Petit Chaperon Rouge de Perrault, à Paris. Les illustrations commençaient à convenir. Là, Audrey Alwett m’a proposé de faire Gothic Lolita. Entre l’expo et les essais pour ce projet, Soleil nous a signé. Que j’étais heureuse !!! Finalement, j’ai dû mettre 3-4 ans avant de pouvoir publier.

Pour Les Destructeurs tu as décidé de passer par Ulule, pourquoi ce choix ? 

Le projet a trainé longtemps chez un éditeur. Pendant ce temps, je l’avançais au niveau scénario et niveau style narratif. J’ai fait plein de propositions différentes. J’ai dû bosser un an et demi dessus. Puis ils ont annulé le projet. On n’avait rien signé, il n’y avait que des promesses, je n’avais que mes espoirs. J’ai fait passer le projet ailleurs mais les retours que j’ai reçus indiquaient que le dossier n’avait pas été lu correctement. 

Je ne voulais pas lâcher Les Destructeurs. Je n’avais pas envie de repartir à la chasse des éditeurs (ça prend des lustres) ni repartir sur un nouveau projet car celui-ci était très avancé. J’ai opté pour Ulule mais je ne savais pas à quel point la logistique allait être difficile ! La préparation à l’impression aussi… Heureusement qu’une aide est arrivée quelques semaines avant la deadline.

Finalement, je pense avoir un beau livre mais la collecte n’a pas permis de me payer.

Tu arrêtes ta carrière d’autrice, peux-tu nous dire pourquoi ?

Je m’arrête, je n’en peux plus. Je m’arrête pour plusieurs raisons. D’abord, les délais de réponse des éditeurs qui sont très longs et ce malgré mes expériences chez diverses maisons. J’ai même eu le cas d’un type qui a quitté son poste mais ne nous (ma scénariste à ce moment-là et moi) a pas prévenues, on a mariné des mois avant d’être mises au courant. Puis lorsqu’une réponse positive arrive, il faut attendre les contrats car tant que ce n’est pas signé, on n’est pas payé. Parfois ils arrivent dans un délai long (6 mois, c’est déjà arrivé) et parfois ils n’arrivent jamais.

Ensuite, ce sont les avances sur droit qui sont bien légères… C’est la dégringolade ces dernières années : avant, je touchais 12 000€ pour un 50 pages qui prend 10 mois de travail, aujourd’hui c’est 16 000 pour 100-120 pages pour un bouquin très complexe qui prend presque 3 ans (un ami qui a 11 albums d’expérience m’a annoncé qu’il touchait 12 000 pour un 120 pages soit deux ans de travail acharné. 500€ par mois c’est bien léger…). Ce sont des avances sur droit en plus, pas un salaire. Après il faut croiser les doigts pour que la promo soit bien faite, que le public soit intéressé et la presse aussi. En plus, qu’on se tue à la tâche ou non, ce sont les chiffres de vente qui décident de la qualité d’un album. C’est un sacré stress pour moi…

Depuis quelques années, j’ai un boulot de prof, je fais du secrétariat, je prends de plus en plus de commandes, je brade mes originaux et surtout je prends ce que je peux pour finir le mois. J’ai un copain bucheron qui me propose de lui filer un coup de main ? J’enfile mes gants, mon armure et j’y vais ! (Véridique mais pas pour l’armure)

Je suis fatiguée… Je n’ai pas dormi (réellement ! Ce n’est pas une image) pendant les 6 mois durant lesquels j’ai attendu mes derniers contrats. Le stress a failli me tuer, là aussi littéralement : de fatigue je me suis évanouie et me suis ouverte la tête en tombant. Heureusement que ma femme n’était pas loin. J’ai fait un vrai burn-out, avec de fortes envies de tout plaquer ou de mourir. Là ça va mieux mais j’en ai marre de coller des rustines.

Je pense que les éditeurs signent trop, à bas prix, que les auteurs signent quand même et se sabordent. Je pense qu’on signe avec des conditions pourries parce qu’on se dit qu’on ne peut pas faire autre chose et c’est souvent vrai : on signe ou on crève. On est trop d’auteurs. Je laisse ma place. En espérant que ça serve à quelque chose…

Je reste encore le temps de finir le projet en cours qui est formidable : bien écrit, original, fin avec de la place pour que je puisse sortir le meilleur de moi-même. La scénariste est fabuleuse ! Elle et son histoire me donnent le courage de continuer encore un peu. Verdict dans 2 ans et demi ! Aurais-je été à la hauteur ? Vais-je pouvoir m’arrêter avec dignité ou serai-je vite oubliée ?

Que penses-tu du mouvement #payetonauteur ?

Excellente initiative ! Le SNAC BD aussi, j’ai ma carte d’ailleurs. Les Etats généraux de la bande dessinée aussi ! Bravo à toutes ces personnes qui se battent pour nous.

Si seulement les auteurs étaient unis, solidaires entre eux, notre situation serait meilleure.

Que faudrait-il pour améliorer la reconnaissance (personnelle et financière) des auteur(e)s ? 

Déjà unir les auteurs entre eux nous éviterait bien des déboires, on pourrait faire face plus facilement.

Payer les éditeurs en avances sur droit ? Afin qu’on soit tous dans la même galère ? Moins de sorties de BD, que celles qui sortent soient mieux promues ? Que les auteurs perçoivent un vrai paiement et pas des avances sur droit ? Bref un retour aux années 90. 

On est trop d’auteurs à mes yeux. Il y a trop de sorties. 

Il faudrait un peu plus de considération pour le travail de tout le monde. Certaines maisons possèdent leur propre réseau de distribution via lequel ils rentabilisent déjà les frais d’un album dès son arrivée dans les entrepôts. Quel intérêt d’essayer de le vendre derrière alors ? Je rêve d’un système où chaque album est réellement désiré par ses auteurs et éditeurs.

Je souligne que je ne suis pas une autrice commerciale, je suis plus une artiste, mon travail prend du temps. Je suis incapable de faire des albums franco-belges classiques, avec une ligne claire. Mon opinion est basée sur mes propres expériences.

Qu’as-tu préféré dans ton expérience d’autrice?

Raconter des histoires et les partager avec des lecteurs !!! Voir que certaines personnes vivent dans le même univers que moi, ça rassure !

Quels sont tes goûts littéraires personnels ?

Je lis peu de BD… à part celles de Tony Sandoval dont j’aime les histoires douces-amères d’adolescents férus de Black Metal. Mon enfance et mon adolescence ont été plutôt ratées donc ça me touche. Je lis des comics de temps en temps, les histoires de super héros ça donne du courage. J’écoute beaucoup de musique : de la folk scandinave, du Black Metal, de l’ambiant mais selon l’humeur du Jazz, du Hip-hop, de la pop, etc. C’est une grosse source d’inspiration. En littérature, j’aime les classiques britanniques mais j’apprécie aussi la littérature moderne. Je lis moins ces derniers temps, je n’ai pas la force.

Un dernier mot pour les personnes souhaitant se lancer dans la bande dessinée ?

Si vous êtes un.e artiste comme moi, faites autre chose que de la BD. Pour l’instant il n’y a aucun avenir pour nous. Revenez dans quelques années quand le système aura été rebooté. 

Si vous vous sentez capable de surmonter les difficultés, de travailler VITE et BIEN, vous avez alors peut-être une place dans ce milieu. Mais alors, accrochez-vous ! 

Encore une fois, ce n’est que mon point de vue : je suis lente à la tâche, je n’ai pas du tout l’âme d’une commerciale, je ne sais pas vendre mon travail ni le défendre.

Merci Maud !

maud

15 commentaires

  1. Un grand merci pour cet article, qui me permet de découvrir une artiste ainsi qu’un blog! Dur dur en effet, quand on est créatif – et donc que l’on ne sert à rien à la société (un grand classique) – pour ma part, je n’envisage même pas de passer par des éditeurs, tellement ce modèle me semble ne pas fonctionner ni correspondre au monde que je souhaite.

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  2. Merci pour cet article et bon courage à cette auteure très courageuse. Cela n’a pas dû être facile de prendre cette décision.

    Je lui souhaite de tout coeur de pouvoir un jour revivre correctement de la BD.

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  3. Dans la vie, il y a une chose qui est pire que celle de ne pas avoir réussi, celle de ne pas avoir essayé….
    Bienvenue dans un monde où celui qui a travaillé, n’est pas récompensé….
    Bonne continuation à elle 🤘

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  4. Bon moi ça tombe mal mais j’avais détesté Burlesque Girrrl. J’avais trouvé ça raccoleur et limite parfois gnangnan dans le dessin, pas très moderne malgré le propos qui essayait de l’être, fermé. On aurait dit une bd des années 80 alors qu’elle a été édité dans les années 2000.

    Mais je suis desolée pour cette personne, ça doit être dur à vivre. Meme si je pense qu’aujourd’hui il ya encore de la place dans la BD, quand on voit Satouff, Vivès, chris ware, sophie guerrive…
    Je lis beaucoup de BD, il y a des choses superbes.

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  5. Je fais le même constat et ne souhaite pas continuer non plus dans la BD, à part la série que j’ai déjà commencée… Et le problème des éditeurs s’étend aussi dans tous les domaines du Livre… Des droits d’auteur ridicules de 1%, et des avances sur droits qui payent 20 euros le dessin couleur…
    C’est tout le système du Livre qu’il faut changer…

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  6. Et le Burn Out pour produire assez et pouvoir en vivre, c’est juste insupportable… Nous n’avons pas les moyens ensuite de nous soigner pour en sortir… Les arrêts de travail pour nous, cela n’existe pas…

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  7. Je comprends tout à fait la situation que tu vis Maud, mais pourquoi abandonner ce que tu aimes faire ?
    Il y a des alternatives au monde traditionnel de l’édition et le numerique offre de nouvelles possibilités notament par le biais de l’auto-edition.

    Aujourd’hui il est déjà possible de créer un lien direct avec ton public à travers les réseaux sociaux. Celà permet d’évaluer l’intérêt d’un nouveau projet, d’expliquer ton histoire artistique, de partager tes difficultés… Nul besoin d’un éditeur pour mettre celà en place.

    Côté financement, une campagne Ulule ou Kickstarter permet de débloquer des fonds sur un projet qui a du potentiel (payer les impressions et les expéditions…) et Patreon ou Tipeee pour supporter l’avancée de ton travail sur le long terme…

    Pour donner un ordre d’idée, avec Ulule, j’ai touché autant que ce que m’aurait proposé un éditeur en diffusant 10 fois moins d’albums. En plus je garde mes droits pour exploiter le contenu digital, les produits dérivés…

    Ce n’est que quelques pistes un peu générales, mais dans mon cas elles ont fonctionné alors que je n’avais jamais été publié avant.

    Courage 😉

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  8. On va bientôt pouvoir faire un panthéon des bédéistes qui ont raccroché. En même temps je comprend tellement ! Désolé de l’apprendre pour Fanny également. Me semble avoir lu quelques unes de tes mésaventures sur Mal au cul sur FB et je comprend ton choix.

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